Avant qu’il ne se passe un pas
mer. 30 août 2017 15h56
Pour en revenir à la trace des frontières [Là où te mènent tes pas], c'est-à-dire aux traces qu'on remarque, aux remarques qu'on trace, aux répliques qu'on adresse, — il faudrait sans doute aussi reconsidérer le moment choisi. S'il est sans doute courant d'observer la frontière après qu'elle a laissé sa trace, après qu'elle a mis en demeure l'étranger de s'interroger, après donc qu'elle a déjà disparu pour laisser place à son seul tracé (et toute question disparaît une fois proférée, sinon qui pourrait répondre ?), la perception de cette frontière, de cette marque au front des choses, n'est sans doute pas la même selon qu'on l'a observée avant ou après son avènement.
Ce n'est là qu'une apparence de paradoxe. La frontière avant son tracé est bien entendu déjà advenue : elle n'est simplement pas remarquée, l'environnement ne lui a peut-être pas encore conféré de forme à reconnaître, mais elle est bien entendu là, au sol, dans la lumière, dans l'eau qui coule, dans la sente creusée par le gibier, dans l'éboulement de la roche, dans le geste de la main qui indique le soleil levant, dans n'importe quel dépôt, dans n'importe quel signe de reconnaissance.
Dans un mouvement de spirale, en régression infinie (il faut que je te voie pour que je te voie, il faut que je te fasse signe pour pouvoir te faire signe). Ou dans un mouvement d'accompagnement des évolutions géophysiques du terrain considéré.
(Chacun des pas après l'autre trace son chemin des douaniers. La frontière se déplace selon le jeu auquel se livrent les gabelous et les contrebandiers : elle est là où je t'attrape, ou elle n'est pas. Je marche, je suis la frontière, je suis au bord.)
À ce propos, il est toujours amusant d'observer la façon dont on rend compte de ces évolutions des lieux dans les fictions projetant l'observateur dans le passé ou le futur. Qu'il s'agisse de la Machine à explorer le temps de Wells, par exemple dans sa version filmée, ou de celle du félon professeur Miloch tendant son piège diabolique à ce brave Mortimer.
Mais la frontière pour qui ?
Le travail — les gestes plutôt — d'Andy Goldsworthy apporte des éléments de réponse soignés, non seulement sur qui trace la frontière mais sur son tracé en propre, et aussi son effacement. Dans le florilège, on peut retenir bien sûr le mur du Storm King Art Center.
Many thanks to Tracie for the picture she took of Goldsworthy's wall in the Storm King Art Center and which I have copied in this post.
Autres exemples de traces à la frontière des choses et des sujets les regardant, à travers une sélection de Jean-Claude Mouton.
Tuesday August 9, 2005 - 12:43pm (CEST)